Vous avez dit « lâcher prise »?

Que se passe-t-il quand on lâche prise? Physiquement, on tombe, ou on s’arrête! Et c’est bien ce qui fait peur. Quand ça se passe au niveau du mental, alors souvent… c’est pour se rendre compte qu’on est déjà par terre. Et on n’a pas envie. Ca me rappelle un cours de ski nautique pour enfants auquel j’assistais depuis la plage. Quand les enfants tombaient (c’est-à-dire à peu près tous à tour de rôle), la plupart continuaient de se cramponner à la barre (j’ai découvert qu’elle s’appelait le palonnier). En attendant que le bateau s’arrête, ils devaient avaler quelques tasses, mais ils devaient se dire que tant qu’ils n’avaient pas lâché, ils n’étaient pas vraiment tombés. A force qu’on leur crie depuis le bateau de lâcher la poignée, ils finissaient par s’y résoudre. C’était la condition pour que le bateau puisse revenir vers eux et les aider à se remettre sur leurs jambes. Lâcher était la condition pour repartir; c’est souvent comme ça dans la vie. Mais le réflexe naturel est de s’accrocher; et alors personne ne peut rien faire pour nous.

Le problème de l’expression « lâcher prise » est qu’elle semble indiquer un absolu, une action totale. Dans notre réseau sémantique, elle est donc très vite connectée à des notions comme vide, chute, abandon, renoncement, résignation, échec, défaite, etc. Je préfère de loin l’image du grimpeur qui, sur une paroi rocheuse ou un mur d’escalade, lâche une prise, pour pouvoir en prendre une autre un peu plus haut, et ainsi de suite continuer à s’élever. Pour une prise qu’il lâche (une main ou un pied) il y en a trois autres qu’il assure. Une pratique réaliste du lâcher-prise, compatible avec l’action, réside donc dans cette double proposition:

  1. Décider quelle prise lâcher, et quelles prises maintenir pendant ce temps-là.
  2. Apercevoir clairement au profit de quelle nouvelle prise nous allons lâcher, et vers quoi ce changement va nous élever.

Pour reprendre l’épisode de l’école de ski nautique, cela voulait dire pour un enfant: physiquement, choisir de lâcher la poignée et se concentrer sur sa flottaison; mentalement, accepter d’être tombé et se préparer à se remettre debout.

Tout lâcher en même temps paraît désespérant, mais refuser de lâcher quoi que ce soit est intenable, et aboutit au même danger. Si notre grimpeur refuse de quitter un de ses appuis, il restera cloué à la paroi, condamné au mieux à l’immobilité, au pire à la chute. Quand nous nous retrouvons bloqués face à des obstacles, qu’ils soient extérieurs ou intérieurs, il y a souvent une prise à lâcher. Mais l’injonction courante de « lâcher prise », sans préciser sur quoi, vers quoi et comment, est un raccourci qui inquiète et bloque l’action.

Le problème à ce stade est de bien sentir les appuis disponibles… et de bien situer ceux à saisir. Une séance de psychothérapie peut donc ressembler parfois à un cours d’escalade!